Retour sur la vie du célèbre faussaire

C’est à Fontenay-Sous-Bois à la Halle Roublot en 2012-2013, que cet ancien faussaire politique de génie, mais aussi artiste photographe a décidé de sortir de l’ombre à la lumière à l’âge de 87 ans. Il y a exposé une centaine de ses photos prises à partir de 1944.

Ce héros discret, humaniste s’est éteint le 9 janvier dernier à l’âge de 97 ans. Trop pudique pour mettre en avant son art a décidé sur le tard de dévoiler ses photos, tant sa préoccupation première et ce dès l’âge de 17 ans, fut de sauver des vies avant tout quitte à le payer de sa santé, allant même jusqu’à perdre un œil.

adolfo kaminksy expo

Il fut résistant dans la France occupée, anticolonialiste acharné et révolté par la torture pendant la guerre d’Algérie, soutien aux mouvements révolutionnaires d’Amérique du Sud, aux guerres de décolonisation en Afrique. Farouche opposant aux dictatures d’Espagne, du Portugal de Salazar et de la Grèce des colonels, mais aussi soutien à l’ANC de Mandela, il soutiendra Daniel Cohn-Bendit en mai 1968.  Adolfo Kaminsky fut tour à tour et selon les points de vue : faussaire, résistant, héros, traitre, agent secret, hors-la-loi ou moudjahid… Il n’en reste pas moins qu’il sauva des milliers de vies.

Né dans une famille juive d’origine argentine, Adolfo n’a que 17 ans lorsqu’il devient peu à peu la cheville ouvrière d’un laboratoire clandestin de faux-papiers. "J’avais trouvé le moyen de produire une telle quantité de faux documents, se souvient-il, que, très vite, toute la zone nord, jusqu’à la Belgique et aux Pays-Bas, en fut inondée. Quiconque cherchait des faux papiers en France savait qu’en établissant un contact avec n’importe quelle branche de la Résistance, il les obtiendrait spontanément." Qu’il s’agisse de faux papiers d’identité, de cartes d’alimentation, de reproduire un tampon administratif, d’imiter un passeport à l’identique et d’inventer toute une vie en rapport, l’habileté d’Adolfo Kaminsky est telle qu’il parviendra même à imiter le passeport suisse réputé infalsifiable.

Rester éveillé. Le plus longtemps possible. Lutter contre le sommeil. Le calcul est simple. En une heure, je fabrique trente faux papiers. Si je dors une heure, trente personnes mourront...

Il est déporté avec sa famille en 1943 à Drancy, avant d’être libéré grâce au consulat d’Argentine. Devenu faussaire à plein temps par la force des choses, il lui est rapidement devenu impérieux de « rester éveillé ». Le plus longtemps possible. Lutter contre le sommeil. Le calcul est simple. En une heure, je fabrique trente faux papiers. Si je dors une heure, trente personnes mourront..."

À cette époque, il ne sait pas encore que sa vie de faussaire va lui prendre quelque trente ans de bons et loyaux services jamais rétribués.

Dans le Paris de 1957, où les témoignages et les prises de positions se multiplient pour dénoncer les méthodes de l’armée française en Algérie et l’usage de la torture, Adolfo Kaminsky fait la connaissance du journaliste Georges Arnaud, du dramaturge Arthur Adamov et de la documentariste et rescapée de Birkenau Marceline Loridan.

Tous sont inquiets des "évènements d’Algérie" sur fond de "suicide" de l’avocat Ali Boumendjel et de "disparition" du mathématicien Maurice Audin à Alger. Pour l’ancien résistant qui précise ne pas avoir milité "contre la France, mais contre la torture", "les victimes avaient changé, mais les méthodes étaient les mêmes". Il va ensuite faire la rencontre du philosophe Francis Jeanson et rejoindre le réseau de soutien au FLN algérien mis en place par ce dernier. 

En 1961, alors que l’étau policier se resserre il rallie Bruxelles devenue une plaque tournante pour les passages de frontières. Il y poursuit son activité de faussaire doublé d’une nouvelle mission : inonder la France de fausse monnaie pour déstabiliser l’économie du pays. La proclamation du cessez-le-feu de mars 1962 l’amènera à brûler toute sa production, jamais mise en circulation.

Actif en tant que faussaire jusqu’en 1971, il s’éclipse ensuite une décennie en Algérie où il se marie avant de revenir en France avec sa famille. Ironie du sort, lui et sa famille deviennent sans-papier, il demandera ses décorations afin qu’ils ne soient pas expulsés..

A 97 ans et toujours attaché à ses convictions humanistes, pacifistes et internationalistes, Adolfo Kaminsky, qui a conservé un casier judiciaire vierge, est surtout resté fidèle au rêve de liberté et de fraternité.

Pour aller plus loin

Sarah Kaminsky présente la vie de son père faussaire. Enregistré le 30 Janvier 2010 à TEDx Paris.

 

The Forger, un documentaire du New York Times consacré à Adolfo Kaminsky (2016).

Une chanson de Rocé, le fils d'Adolfo Kaminsky

Emission de France Culture Les rendez-vous animé par Laurent Goumarre