Un événement historique méconnu
Résumé
Installé en Guadeloupe avec Lucille et leur fille Célanie, Luc Blanchard travaille désormais pour le journal local. Alors que des émeutes violentes éclatent, le cousin de Lucille meurt et la jeune femme est arrêtée puis envoyée en prison à Paris. Accompagné de Sirius et d'Antoine, Luc récolte des indices pour prouver l'innocence de la femme qu'il aime.
Thomas Cantaloube signe un roman digne d'un livre de Daenkinckx, à la croisée d'un roman policier et d'un documentaire historique. Mai 67 retrace les événements survenus cette année-là en Guadeloupe qui se sont traduits par plusieurs jours de révoltes populaires qui ont été fortement réprimés par les forces de l'ordre. A ce jour, aucun décompte officiel ne recense précisément le nombre de victimes. Si les rapports officiels font état de 8 morts, il semblerait que la réalité des chiffres soit plus dramatique. En effet, plusieurs familles de victimes n'auraient pas signalé le décès de leurs proches durant la répression des émeutes afin d'éviter des représailles ou d'avoir maille à partir avec la justice. Des historiens qui se sont penchés sur cette période estiment qu'il y a eu pas loin de 90 morts.
Certaines sources évoquent un bilan admis en 1985 par le secrétaire d'état chargé des DOM-TOM, Georges Lemoine, de 87 morts18,15. La députée Christiane Taubira évoque « 100 morts ».
Si le point de départ de ces événements se matérialise par des revendications salariales exprimées majoritairement par des habitants noirs soumis à la pauvreté et à la précarité à cause de la vie chère qui règne sur l'île. Les émeutes prennent rapidement un virage plus politique qui traduit les rapports coloniaux qui subsistent entre l'Etat français et ce territoire d'Outre-Mer. Ces derniers sont observés à travers le prisme de l'histoire de l'île, à savoir l’esclavage et les traces qui en subsistent encore à cette époque. Les postes à responsabilité de l'administration sont occupés par des blancs en provenance de l'hexagone. Le pouvoir économique est détenu par les békés, les blancs descendants des premiers colons. Les forces de l'ordre sont des régiments issus de l'hexagone. L'enseignement prodigué aux élèves de l'île témoigne d'un décalage entre l'histoire de l'hexagone et celle des territoires d'Outre-Mer. En effet, enseigner que les français sont des descendants des gaulois devant une classe constituée d'élèves dont les ancêtres sont d'anciens esclaves participe à entretenir un sentiment de rejet et de mépris pour une bonne partie des habitants de la Guadeloupe.
Bien que l'Algérie, en obtenant son indépendance en 1962, met symboliquement un terme à l'empire colonial français (même si quelques territoires sont encore sous domination française jusqu'en 1980), ce roman est l'occasion de mettre en lumière la gestion coloniale de la France de Gaulle d'un territoire relevant de la République française. Cette gestion coloniale s'est traduite par le déploiement de la force par les autorités contre les insulaires aspirant à un besoin de justice, de reconnaissance et d'égalité. La force de ce roman réside également dans sa capacité à traduire la filiation qu'il y a entre les événements de mai 67 en Guadeloupe qui trouveront une résonance un an plus tard dans l'hexagone mais aussi à travers la naissance d'une doctrine du maintien de l'ordre. En effet, Pierre Delbotte alors préfet de Guadeloupe lors des émeutes, est l'architecte des premières unités de la Brigade Anticriminalité (BAC) qui ont été déployées dès le début des années 1970 en Seine-Saint-Denis.
Ce livre documenté et contextualisé offre une lecture particulièrement contemporaine de la situation en Guadeloupe ou dans d'autres territoires ultramarins qui en dit long sur le rapport que l'Etat entretient avec les habitants de ces territoires français.
Pour aller plus loin
Nous vous recommandons l'écoute de ce podcast de David Dufresnes Guadeloupe, mai 67 : aux racines coloniales du maintien de l'ordre.
L'émission Affaires sensibles a réalisé en 2009 un numéro consacré aux événements de mai 67 avec Eli Domota, figure du LKP et ancien secrétaire de l'UGTG.